Inserm U722
 
 
 
 
Impact de mutations aléatoires sur les bêta-lactamases : le paysage adaptatif de la résistance aux bêta-lactamines
Hervé JACQUIER
28 septembre 2012

La mobilisation, la diversification et la diffusion massive de gènes impliqués dans la résistance aux antibiotiques, ont conduit à l’émergence de bactéries multi-résistantes. Afin de mieux comprendre comment un gène de résistance aux antibiotiques répondra à l’action de la sélection naturelle, il nous paraît donc important de placer l’analyse de la résistance aux antibiotiques dans une perspective évolutive. De ce fait, la bêta-lactamase TEM-1 est un excellent modèle à plusieurs titres : (i) TEM-1 est probablement la bêta-lactamase la plus répandue dans les bactéries d’intérêt médical, (ii) l’émergence de mutations ponctuelles dans le gène codant l’enzyme TEM-1 a permis d’élargir son spectre de résistance, restreignant drastiquement l’arsenal thérapeutique, (iii) il s’agit d’une enzyme dont les propriétés enzymatiques, structurales, et thermodynamiques ont été largement explorées et qui s’est donc imposée comme un modèle d’enzyme pour les biologistes de l’évolution.

Nous avons réalisé une collection de 10.000 mutants de l’enzyme TEM-1 pour lesquels nous avons déterminé la Concentration Minimale Inhibitrice à l’amoxicilline. Dans cette collection, les mutations synonymes n’avaient pas d’impact détectable sur la CMI par rapport à l’ancêtre TEM-1. Parmi ces 10.000 mutants, nous avons identifié 990 simple-mutants faux-sens différents de l’enzyme, correspondant à 64% de tous les simple-mutants théoriques accessibles par une mutation ponctuelle. La distribution de l’effet des mutations révèle une répartition bimodale de mutations létales et de mutations faiblement délétères. De façon intéressante, aucune mutation avantageuse n’a été observée. Ces résultats ont été comparés à différents modèles qui permettent de comprendre à quel niveau moléculaire une mutation influe. Ainsi, le type de mutation, l’accessibilité des résidus à un solvant et l'impact des mutations sur la stabilité de la protéine contribuent, seul ou en combinaison à expliquer les modifications de la CMI des différents mutants. Par ailleurs, la même approche a été développée pour une collection plus restreinte de 2000 mutants réalisée à partir d’un allèle de TEM-1 portant la mutation stabilisatrice M182T. L’analyse de 190 mutants communs aux deux banques a permis de montrer une compensation de l’effet délétère de mutations déstabilisantes en présence de M182T. Cette modification radicale de la répartition des effets des mutations en présence de M182T peut être prédite par un modèle biophysique simple centré sur la stabilité des protéines, confirmant le rôle majeur de la stabilité dans la distribution de l’effet des mutations.

Dans une deuxième étude, nous nous sommes intéressés spécifiquement aux effets des mutations affectant le peptide signal de cette enzyme. Pour le peptide signal, nous avons pu observer un paysage adaptatif radicalement différent de celui obtenu pour l’enzyme. En effet, deux effets importants ont pu être observés pour ces mutations affectant le peptide signal : (i) un effet significatif de mutations synonymes suggérant un rôle important des structures secondaires de l’ARNm dans la régulation du gène et (ii) une proportion importante de mutations avantageuses suggérant une très grande souplesse adaptative du peptide signal. Ces résultats sont particulièrement intéressants, car aucune étude d’évolution expérimentale ne s’était focalisée sur l’effet dissocié des mutations entre deux régions fonctionnelles d’une protéine.

En conclusion, nous avons produit une collection de mutants la plus exhaustive jamais décrite sur une enzyme. Cette approche nous a permis d’une part de valider l’importance de l’impact des mutations sur la stabilité, et d’autre part, de mettre en évidence la nécessité de prendre en compte les différentes régions fonctionnelles d’une protéine pour une meilleure prédiction de l’effet des mutations.